Discours du Président de l’APM, lors des vœux de la presse 2016, au Premier ministre Manuel Valls
Monsieur le Premier ministre,
Chères Consœurs, chers Confrères,
L’an dernier à la même époque, notre profession était endeuillée par la mort de huit de nos collègues dans des conditions qui nous paraissent aujourd’hui encore inimaginables.
Nous pensons à eux. Ils vivent dans notre mémoire collective. Nous pensons aussi à leurs familles et à ceux, blessés, qui sont toujours convalescents.
La liberté de la presse était touchée dans son essence, dans sa chair. Nous croyions alors avoir vécu le pire.
Nous nous étions malheureusement trompés. Nous étions très en dessous de ce que la barbarie pouvait engendrer. Nous l’avons tristement découvert le 13 novembre dernier.
C’est pourquoi nos pensées vont aussi à tous ceux qui sont tombés lors de ces attentats et à ceux qui tentent aujourd’hui, malgré leurs blessures, de reprendre le chemin de la vie.
Car, avant d’être des journalistes, nous sommes des citoyens pleinement impliqués dans la société. Nous réagissons d’abord comme tels, et certains d’entre nous ont été frappés directement ou dans leur entourage.
Nous avions déjà tiré les leçons de janvier 2015. Mais cette tragédie nous a mis davantage encore devant nos responsabilités : vérifier avant d’informer, confronter les opinions pour analyser au plus juste, interroger, douter pour mieux éclairer.
Il me faut aussi rappeler ici que l’an dernier 110 de nos confrères sont tombés pour accomplir leur mission, au-delà de nos frontières, et notamment en Syrie et en Irak.
Mais, revenons en France : quand notre pays est menacé, que les fondements de notre République sont ébranlés, il est normal que nous fassions corps avec la société.
Sans fausse pudeur parce que c’est notre liberté qui est en jeu mais sans tomber dans une quelconque forme de complaisance. Au contraire, avec une vigilance accrue.
Alors oui, nous pouvons entendre, Monsieur le Premier ministre, que la lutte contre le terrorisme passe par un renforcement des dispositifs existants. Vous avez mis votre autorité et votre détermination au service de cet objectif.
Mais, nous comprenons aussi ceux qui mettent en garde contre les dérives de l’état d’urgence. Car, nous pouvons nous-mêmes les subir.
Nous avons noté avec satisfaction que dans la révision de la loi de 1955, le contrôle de la presse avait été supprimé. Mais de justesse… Parce qu’à notre grande surprise, des parlementaires de votre majorité ont tenté de la maintenir, sous conditions certes, mais elles étaient déjà superflues. Fort heureusement cet amendement n’a pas été retenu.
En revanche, le projet de loi visant à renforcer le secret des sources est, lui, toujours au point mort. Alors même que le Président de la République s’était engagé à ce qu’il soit adopté avant la fin de l’année dernière.
Dans ces temps brouillés, nous souhaitons avoir le plus de garanties possibles sur les conditions d’exercice de notre métier et la protection des sources qui est un pilier de notre liberté. Nous formons donc le vœu, puisque nous en avons ici l’occasion, que cette réforme soit enfin adoptée !
Tout comme nous souhaitons que la France s’engage pleinement pour empêcher l’adoption d’une directive européenne sur le secret d’affaires, c’est son nom, qui conduirait ni plus ni moins à une censure.
A propos de nos méthodes de travail, nous avons été pour le moins déconcertés – et nous sommes ici dans un dialogue franc que vous affectionnez, alors c’est l’occasion de vous le dire-, par votre leçon de journalisme dans le débat sur la déchéance de nationalité.
Lorsque la Garde des Sceaux a expliqué depuis Alger que ce projet n’était plus à l’ordre du jour de votre gouvernement, nous l’avons cru. Vous nous l’avez alors âprement reproché. Et alors que vous-même aviez confié quelques jours plus tôt vos doutes.
Alors une question se pose : la parole du Président et celle du Premier ministre seraient-elles d’or et toutes les autres en toc ?
Cette confusion, en tout cas avec votre Garde des Sceaux, ne se reproduira plus puisque Christiane Taubira a donc quitté ses fonctions hier. A la surprise générale… La jurisprudence Chevènement s’est finalement appliquée après une période de grand flottement et malgré votre tentative de trouver un modus vivendi avec une ministre qui vous a souvent défié.
Il y a donc une clarification sur la ligne avec l’arrivée au ministère de la Justice de l’un de vos proches mais pas sûr que cela signifie la fin du désordre. « Au revoir la gauche ! » titre ce matin l’un de nos confrères. Au revoir ou Adieu ? Vous nous le direz peut-être…Ou le remaniement à venir nous donnera-t-il quelques pistes de réponse.
Car sur ce dossier de la déchéance, l’unanimité du 16 novembre devant le Congrès s’est muée en une cacophonie dans vos rangs. Les frondeurs de votre majorité qui s’étaient un peu assagis ont trouvé de quoi nourrir leur colère. Et pas seulement eux. Certains évoquent une fracture irréversible, un schisme.
Au final, l’or s’est transformé en plomb. Le climat d’unité nationale, auquel vous appeliez et pour lequel vous avez personnellement œuvré c’est vrai en tendant la main à l’opposition, n’a duré que le temps de l’émotion.
Vous voilà embourbé dans une révision constitutionnelle qui risque d’asphyxier tout autre débat, au moment même où la préoccupation des Français reste le chômage.
Sur ce front, vos résultats ne sont toujours pas probants, les chiffres d’hier l’ont une nouvelle fois montré. Et deux lignes s’affrontent au sein de votre gouvernement : d’un côté ceux qui préfèrent avancer prudemment et ceux qui réclament des réformes radicales.
Parmi ces derniers bien sûr, le tempétueux Emmanuel Macron aux déclarations plus iconoclastes les unes que les autres… mais il en a été puni puisqu’il n’aura pas le droit à une seconde loi.
On se demande d’ailleurs dans quelle catégorie vous-même vous vous situez dorénavant ? La fonction de Premier ministre à laquelle vous êtes à priori solidement arrimé jusqu’en 2017 ne vous a-t-elle cependant pas obligé à vous effacer derrière le Président de la République et du coup à moins oser, à moins transgresser ?
L’audace, la modernité, le volontarisme vous ont incontestablement ouvert les portes de cette Maison de Matignon… A quelques années près il y a une sorte d’effet-miroir entre vous et Emmanuel Macron.
Il se murmure que cette concurrence vous agace mais après tout si c’est une bataille pour incarner le renouveau, n’est-elle pas stimulante donc salutaire ? Et puis vous l’avez dit vous-même vous « aimez la castagne ».
Le renouvellement de la classe politique : c’est l’une des aspirations fortes des Français. Celle dont ils nous parlent à longueur de reportages.
La défiance que droite et gauche affrontent s’alimente aussi d’une déconnexion par rapport aux réalités de terrain, aux préoccupations du quotidien. « Ils ne nous entendent plus » : voilà ce que nous disent également ceux que nous rencontrons.
C’est de toutes ces failles que se nourrit le Front national. Depuis 2012 vous en avez fait un combat personnel, ardent et jamais démenti même par vos contempteurs. Mais ce qu’on retiendra des dernières élections régionales c’est l’implantation de l’extrême droite et votre disparition dans deux grandes régions dont l’une était l’un de vos fiefs historiques.
Alors, après trois années électorales, vous avez une année pour souffler. Enfin si l’on peut dire. Parce que finalement le plus dur reste à faire : tenter d’honorer l’engagement maintes fois répété du Président de la République, inverser la courbe du chômage. Quitte à avoir recours, disent certains, à des remèdes placebo.
Une urgence sociale donc mais aussi une urgence électorale : c’est le chef de l’Etat qui a lié les deux…Vous qui aimez les défis, vous êtes servi. En voilà un de taille !
A moins, qui sait, que les cartes soient rebattues et que François Hollande remette en jeu sa légitimité à représenter la gauche en 2017. Et se soumette à des primaires que certains chez vous réclament à grands cris. Après tout, vous ne feriez que respecter les règles du PS… Serait-il si indigne de ne pas être dans une conquête permanente du pouvoir et de se contenter d’un seul mandat ?
On ne peut d’ailleurs pas dire que notre classe politique manque de nouveaux talents… à gauche et à droite. Il faut juste leur laisser la place… Et où est-il écrit qu’il vous faudrait, vous, attendre 2022 plutôt que 2017 ? J’ai vérifié : à moins d’une révision constitutionnelle, rien ne vous en empêche…
A vous voir vous démultiplier dans nos médias et dans des émissions très grand public mêlant divertissement et politique où on ne vous attendait pas forcément, on se demande si ça ne vous titille pas.
Surtout quand vous regardez les sondages et que les Français veulent tout sauf rejouer le match de 2012 ! La revanche n’est visiblement pas à la hauteur de leurs attentes.
Si nous croyons à la noblesse de la politique -parfois nous nous forçons un peu mais nous finissons toujours par y parvenir- nous n’avons pas vocation à œuvrer à la réconciliation entre les Français et leurs représentants, leurs élus. Cela relève de votre responsabilité et le choix des urnes sera toujours le baromètre suprême, ultime de la qualité de cette relation.
Mais, nous avons un devoir : c’est de servir de médiation, d’interface entre eux et vous. C’est pourquoi nous aurons à cœur, dans cette année pré-électorale, de faire vivre le débat des idées avec la plus grande indépendance de regard possible.
Sans oublier de raconter les coulisses du pouvoir, d’abord parce que les Français en sont friands et, vous le reconnaîtrez sans mal, les politiques également mais aussi parce que la grande histoire est souvent, dans la petite.
D’ici là, Monsieur le Premier ministre, nous vous souhaitons ainsi qu’à votre gouvernement, dans l’intérêt du pays, tous nos vœux sincères et républicains de réussite. Et au nom de l’Association de la Presse ministérielle, bonne année à vous tous !
Benjamin Sportouch,
Président de l’Association de la Presse ministérielle